NOUVEAUTÉ : publication du Vampire Actif : Nuits de feux, Jacques BROCHARD
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Lors d’une rencontre à la tombée du jour, des confidences peuvent être murmurées. Instituteur jadis exilé dans une île proche de la côte mais pourtant coupée du monde, Jacques Soulié comme les rares habitants, relégués là par la volonté d’une autorité froide et lointaine, vouent un culte au feu.
« Oh feu des grands élans, feu des éclats de lumière, oh feu des grands enflammements, feu des flammes apaisées qui moutonnent sur des braises mourantes comme des veilleuses, qui font naître mes rêveries conduites par tes dernières lueurs ; oh feu ! je t’accompagne à la mort, je partage ton agonie, je me perds sur tes pâleurs, je pleure sur tes cendres. »
La vue des flammes lui évoque la mystérieuse Marine qui, ailleurs et dans un autre temps, offrait sa peau nue à la chaleur d’un brasier. Sa bouleversante ressemblance avec la douce Alaine qu’il rencontre rêvant devant un feu l’émeut profondément.
Jacques et Alaine connaîtront la montée d’une passion silencieuse qui les conduira à un sublime éblouissement lors d’une nuit emplie de bonheur et de douleur.
Un roman qui nous entraîne dans une poésie de l’imaginaire et nous invite à contempler les flammes et la lumière.
Extrait (les premières pages de l’ouvrage)
"C’était un promontoire où je venais souvent m’asseoir un peu avant la tombée de la nuit. Le regard portait sur une île proche que l’on apercevait encore dans la pénombre, et qui les nuits de ciel clair se détachait sur l’horizon. Un soir que je trouvai ma place occupée, je me retins d’avancer plus avant, tant par le soin que je portais à préserver ma solitude et mes rêveries que par crainte de troubler la méditation de cet homme que je voyais assis, la tête dans ses mains en conque, le regard fixé ou perdu vers l’île.
Je l’avais déjà croisé : l’allure un peu dégingandée, il déambulait toujours seul, d’un pas alerte, le corps légèrement penché vers l’avant, les épaules affaissées. J’avais remarqué son visage émacié, sa figure longue aux orbites creuses qu’éclairaient des yeux d’une eau très claire, presque verte. Ainsi m’étaient-ils apparus lors d’une fugitive rencontre lorsqu’ils s’étaient levés un instant vers moi parce que nous allions nous croiser dans un chemin étroit, sans qu’ils aient cependant cherché à me fixer.
Il avait à cet instant chassé d’un revers de main les mèches qui lui encombraient le front, échappées de son abondante chevelure châtain.
À cause de cette présence qui me contrariait un peu, mais respectueux de son recueillement, je fus quelque temps sans revenir à mon endroit préféré, jusqu’à ces soirées de juin où, l’homme n’étant pas réapparu, je m’installai de nouveau sur mon promontoire. J’y fus seul plusieurs soirs de suite et je goûtais ces moments de calme et d’isolement où je ne me lassais pas de contempler la mer, les nuages et cette forme rocheuse, pure de toute construction, qui se présentait comme un cône gigantesque élevé en pente régulière depuis les rochers épars de l’est, pour finir par une falaise plus abrupte tout à l’ouest ; l’île, avec ses deux petits mamelons précédant la tombée brutale dans la mer, me paraissait avoir la forme d’un félin, d’une panthère assoupie, allongée sur le sol, le corps répandu, le mufle carré, les deux oreilles dressées.
Il revint cependant un soir, sans que j’entende son pas avant qu’il ne vienne s’asseoir près de moi. Sur l’île en face s’allumèrent trois foyers dont les flammes échevelées, couchées par le vent de nord-ouest créaient des queues de lumière semblables à celles que font les comètes.
« Un soir, me dit-il, j’ai vécu cet embrasement. Jadis, avant que ne survienne le drame, des feux sur la côte s’allumaient en réponse à ces foyers de la Saint-Jean. Alors, les feux se répondaient de l’île au continent, les flammes s’élevaient car ceux qui les allumaient, les voulaient faire croître et durer plus haut que ceux d’en face. Mais il n’y a plus de bûchers ici maintenant et ceux qui autrefois dansaient là-bas autour des foyers demeurent enfermés et n’ont plus de gaieté depuis la nuit de détresse, depuis que s’est ternie la joie. Les quelques flammes que vous voyez ce soir n’ont pu être allumées que par de nouveaux habitants, par des gens qui ignorent ce qui s’est passé là-bas avant que je m’en aille ».
Il se tut, laissa errer son regard vers l’île. Je pressentais qu’il ne parlerait plus ce soir, que ces mots échappés, prémices d’un récit, resteraient orphelins. Le silence revint et nous restâmes quelque temps sans parler, l’un à côté de l’autre, et par cette communion à la même contemplation, je sentais naître en moi un courant de sympathie vers cet homme qui ne me devenait plus tout à fait étranger.
Puis lorsque les flammes s’assoupirent en face et que la nuit enveloppa l’île, il se tourna vers moi : « Pardonnez-moi d’avoir troublé votre solitude, » dit-il ; il se leva et je le vis s’enfoncer sur le chemin sombre qui s’écartait du village dans la direction des ruines de la vieille chapelle.
Je demeurai assis, baigné de souffles tièdes en songeant à cette curieuse rencontre, à ces propos interrompus, à ce jadis, à cette voix un peu sourde et à son étrange façon de s’exprimer donnant l’impression qu’il pesait les mots avant qu’ils ne soient prononcés sur un débit lent, rythmé par des césures et par l’intonation particulière dont il habillait certaines expressions.
Un soir où l’orage menaçait, où l’île en face se couvrait de volutes bleu noir inquiétantes, il fut à nouveau là, et vint s’asseoir près de moi.
« Avez-vous déjà vécu un incendie ? je veux dire un violent incendie, celui qui détruit non seulement un bâtiment, une maison, mais par la dimension spirituelle de ce qu’il détruit, s’attaque aussi à votre âme, à vos souvenirs, à votre amour, à tout votre être ? » Puis il se tut et s’en alla.
Je revenais presque quotidiennement contempler la fin du jour depuis mon promontoire. Un autre soir, alors que la nuit tombait, je le vis à nouveau s’approcher. Nous distinguions à peine nos visages ; l’obscurité ne permettait que d’apercevoir le contour des rochers et des terres en face ; alors, sans qu’il tourne la tête vers moi, je l’entendis murmurer :
« Il y a très longtemps que cela est arrivé et je puis vous le dire maintenant. J’habitais cette île où toutes les maisons sont bâties sur la face qui nous est cachée. Je m’appelle Jacques Soulié, et j’avais été envoyé comme instituteur dans ce village désolé il y a longtemps… il y a si longtemps… »"
[…]
DÉDICACE
Jacques Brochard sera présent, au côté de Thierry Fresne, pour la sortie de son ouvrage, les 21, 22 et 23 novembre prochains sur l’espace du Vampire Actif, au Salon « L’Autre Livre » , organisé à la Mairie du Vème arrondissement, place du Panthéon à Paris
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